Terre, une invitation au voyage

Jordanie : gravé dans la roche

Wild Birds Collective
Jordanie : gravé dans la roche

Témoignage des civilisations et héritage du passé : la mémoire de la Jordanie s’inscrit dans sa pierre. De Pétra au wadi Rum, embarquez avec le collectif des Wild Birds pour un voyage sensoriel au cœur du patrimoine architectural et géologique du royaume hachémite.

Porte d'entrée de la « Cité vermeille », le canyon fend les falaises de grès. Happés par l'excitation, nous nous infiltrons dans le Sîq aux premières lueurs de l'aube. Le long corridor s'étire dans le wadi Musa vers une ville bien mystérieuse – Pétra et sa civilisation disparue. Le chemin serpente dans la roche ocre rose. Les parois verticales nous subjuguent. Les yeux toujours levés vers le ciel, nous avançons. Une douce lumière descend sur nous et éclaire la gorge avec poésie. Nos mains, inexorablement attirées par la pierre, effleurent le mythe, touchent des doigts l'histoire. La caresse fait tressaillir. Au contact de la paroi minérale, récits et légendes nous sont contés. Bientôt, les sabots des chevaux au galop martèleront le sol avec ferveur. L'agitation touristique éclipsera le calme olympien. Pour l'heure, dans la suavité de l'éveil matinal, seuls le chant des oiseaux et le jappement des chiens errants se font entendre.

Contemplatifs, nous déambulons entre candeur et impatience. L'attente éveille le désir. Soudain, dans la commissure du Sîq, Al-Khazneh fait son apparition. Parce que l'icône est planétaire, nous redoutions la désillusion. Pourtant, à sa vue, se déclenchent la surprise, les frissons, l'émotion. Les dimensions du monument impressionnent ; le contraste entre la roche brute et la finesse de son architecture fascine. La mémoire du monde nous fait face, imposante, irréelle. Il faut quelques instants pour appréhender le lieu, l'accueillir dans sa vérité. Ensuite, il convient de reprendre ses esprits et de s'approcher. Comme sorties d'un tiroir longtemps resté fermé, les images d'Indiana Jones surgissent dans nos esprits. Nous sourions à leur évocation, à celles de nos rêves d'enfants et de l'aventurier tapi dans l'imaginaire collectif. Nos pensées vont aux temps anciens, quand la photographie ne voyageait pas, quand le monde était vaste et l'ailleurs inconnu. Quand il fallait du temps au vécu pour devenir légende. Nous devinons la liesse, celle du voyageur, face à la magnificence de cette cité cachée, préservée. Nous pensons à l'exultation ressentie par l'explorateur enregistrant chaque détail afin d'en croquer et d'en retranscrire l'essence. La mémoire est un devoir.

Forteresse naturelle au cœur des montagnes de la vallée d’Édom, Pétra, surnommée « la Ville des sables » est une cité troglodytique où tout reste encore à découvrir. - ©Wild Birds Collective

De Pétra, nous connaissons tous le trésor – Al-Khazneh, de son nom arabe qui signifie « le trésor du Pharaon ». Et quel trésor ! Pour autant, l'ampleur du site est colossale. Alors, il faut marcher, partir à la conquête des sentiers sillonnant crêtes et vallées et s'éveiller à l'histoire. Cuvette au cœur des montagnes, Pétra est une forteresse naturelle. Çà et là, des parois rocheuses se dressent comme une multitude de crânes enchevêtrés. Des colonnes naturelles sculptées par l'érosion, percées de grottes, donnent parfois l'illusion de têtes de morts. Les formations géologiques nous semblent uniques et n'auront de cesse de nous intriguer durant notre séjour dans la région d'Édom. Le coin semble avoir accueilli des milliers de vies. Chaque parcelle de roche crie l'histoire du pays. Celle de la pierre bien sûr mais aussi celle de l'être humain. De ces hommes et de ces femmes, les Nabatéens qui vivaient jadis ici. Celle de leurs croyances et de leurs rites. Celle de la route du Roi, haut lieu de passage et de commerce des caravanes. Peuple nomade arabe, les Nabatéens fondent Pétra en 400 av. J.-C. La cité troglodytique, à deux pas de la route de l'encens, sert d'entrepôt aux marchandises transitant entre le Yémen, l'Égypte, l'Inde et la Méditerranée. À son apogée vers 50, la ville est prospère et influente. Elle finira pourtant dans l'oubli. D'abord détruite par un important séisme en 363, elle se trouvera ensuite isolée après le détournement par les Romains des routes marchandes vers les accès maritimes. Elle sera finalement abandonnée après les croisades, laissant ainsi un immense territoire aux troupeaux des Bédouins venus paître et s'abreuver.

Temples honorant des divinités, tombeaux royaux, grottes, théâtre, fontaines, citernes, bassins et même forteresse croisée... plus de 600 édifices aux influences grecques, égyptiennes, assyriennes et romaines ont été bâtis à Pétra. Le chiffre donne le tournis. À la perception de quelques-uns seulement, le vertige nous saisit. La « Cité des sables » est monumentale.

La balade est fabuleuse, l'exploration ludique, étonnante. Elle mène le visiteur, tel un chercheur d'or, à la découverte d'une culture, entre décors historiques de la civilisation nabatéenne et paysages naturels mêlant falaises et canyons de grès. L'ouvrage des humains fait corps avec la nature.

Emblème même de Pétra, Al-Khazneh serait le tombeau d’un roi ou d’un couple royal. Taillée à même la roche, sa sculpturale façade se détache du grès avec finesse - ©Wild Birds Collective

Pétra, de son nom grec ancien, signifie « pierre ». Le grès s'élève par endroit en une alternance de strates dont les teintes varient de l'ocre au brun en passant par le jaune, l'or, l'orangé, le rose, le vermeille, le safran, le roux, le bleu et le noir. Œuvre de la nature, celle qu'on appelait autrefois « la Bariolée » – Raqmu en langue sémitique – n'aime pas la fadeur. Depuis les hauteurs, nos yeux pétillent, nos cœurs s'emballent. La vue sur les djebels environnants et sur la ville antique est spectaculaire. Foulant les marches des anciennes voies processionnaires, nous accédons au haut lieu du sacrifice (Al-Madabah), à celui du djebel Al-Khubtha et au monastère Al-Deir. Lieu de culte nabatéen puis chrétien, sa construction épurée, sculptée dans le grès jaune, s'impose avec grâce dans le paysage. Un diamant brut dans un écrin rocailleux que le soleil illumine avec perfection. Non loin de là, nichés sur les belvédères, les cafés bédouins promettent « la plus belle vue du monde ». L'attention perdue dans la contemplation du wadi Araba, du désert du Néguev et d'Israël à l'horizon lui donne raison.

Inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco, Pétra s'emplit au fur et à mesure des heures qui passent. Bien souvent, quelques pas de côté font oublier la foule. Si les voyageurs affluent, Pétra est avant tout la terre des Bédouins. Présents partout dans les montagnes, ils lui donnent vie. Yeux fardés de khôl, vêtus de longs manteaux traditionnels, portant la coiffe shemagh pour les hommes et le voile pour les femmes... le peuple est charismatique. Guides, marchands et bergers le jour ; au couchant, le site est à nouveau leur.

Longtemps tombée dans l'oubli, la civilisation nabatéenne pérennise ses hommages grâce aux touristes venus de loin pour marcher dans les pas des peuples antiques. Pour autant, conserver la mémoire, c'est préserver Pétra que l'érosion fragilise et que l'affluence menace de disparition. Respect et protection sont de mise.

Wadi Rum, nuances de sable

Depuis la route du Roi, surplombant le wadi Musa, le regard se perd sur Pétra et sur les montagnes gardiennes de son mystère. Puis, l'autoroute du désert nous conduit en deux heures jusqu'au wadi Rum.

Alors que nous glissons sur les ultimes kilomètres d'asphalte, le flambeau du jour irradie les « sept piliers de la sagesse » d'un coloris abricot. Le sommet tire son nom de l'autobiographie de Lawrence d'Arabie. Le ton est donné. Nous retrouvons notre guide et sautons à l'arrière de son vieux pick-up Toyota pour lequel le désert ne semble plus avoir de secret. La tôle grince et couine en tous sens mais les banquettes sont une place de choix pour admirer les terres désolées du wadi Rum. Cheveux au vent et bondissants, nous abordons l'immensité sauvage. Dans la sérénité de l'hiver, la demi-heure parcourue en 4x4 jusqu'au camp est déjà une ode à la liberté. La félicité nous gagne. Puis nous sommes catapultés sur une autre planète : peut-être Mars, on ne saurait le dire.

Randonner est la promesse de bien des merveilles. Au milieu des sables se hissent des monts érigés comme des châteaux. Ici et là, ils ponctuent le désert, pareils aux cailloux d'un jardin japonais. Tout est calme. Chaque chose est à sa place dans ce paysage mouvant. Le vent câline les dunes emportant un à un les grains de sable vers l'avenir. La scène chimérique inspire les films de science-fiction : Planète rouge, Seul sur Mars, La Guerre des étoiles et bien d'autres.

Sur la roche, comme dans un millier de hiéroglyphes, l'histoire du désert s'écrit. L'érosion laisse son empreinte sur le minéral, cisèle les massifs et en fait des pains de sucre, raconte son évolution et rappelle l'ornementation d'un palais ancien. La nature elle-même proclame son histoire. Un patrimoine géologique qui fait écho au patrimoine historique de la Jordanie. Les pitons rocheux, comparables aux temples de Pétra, se dessinent comme des lieux sacrés qu'on voudrait garder purs.

Sous les derniers rayons du soleil, le désert se pare de ses plus chatoyantes couleurs - ©Wild Birds Collective

Il n'y a pas un seul désert mais plusieurs. Canyons, ergs ou déserts de pierre, arches naturelles, djebels... capricieuse, la nature a modelé le wadi Rum avec excentricité. Rien n'est identique. Partout où le regard se pose, la toile est différente. Les couleurs fluctuent selon les lieux. Des nuances qui vont du blanc à la terre d'ombre en passant par l'or, auxquelles s'ajoute tout une gamme de blond, d'ambré, de mandarine, de rose, de sienne, de terra cotta, de violet et même de bleu qu'on peine à décrire tellement tout a l'air illusoire. La lumière, au fil des heures, modifie les perspectives. Quand au matin tout paraît proche, la splendeur des fins de journée fait s'éloigner les panoramas.

À l'aube, lorsque le soleil réveille le désert de sa longue nuit glacée, les dunes humectées portent les larmes gelées de la rosée. Sous les rayons dorés, l'étendue aride encore humide renaît. Le gel s'évapore sous le souffle brûlant. Pour autant, le fond de l'air reste frais en cette fin d'hiver. Sous le ciel bleu, la peau cuit au zénith. Dans le vent, le froid de janvier nous rattrape. À 15 heures, les ombres s'allongent et soulignent déjà les contrastes. Peu à peu, le désert revêt sa plus belle palette. Des gouaches pêche, saumon, corail, brique... se déploient sur le fin gravier comme sur les éminences. Dans sa chute, c'est désormais tout le désert que le soleil mordore.

Là où l'on pensait le désert stérile, on l'envisage fertile. Après les premières gelées de l'hiver, on dévisage les liminaires et précieuses fleurs du désert. Perdues dans les sables, leurs pétales blancs paraissent fragiles. Sous nos pieds, de minuscules feuilles de la taille d'une graine jonchent le sol comme des centaines de perles. Un tapis vert qui viendra bientôt nourrir les animaux des Bédouins.

L'azur rosit jusqu'au crépuscule puis fond dans la noirceur. Le wadi Rum se dissipe, libérant le néant. Il est temps de gagner la chaleur du feu de bois qui crépite sous la conviviale tente bédouine. La cuisine jordanienne se déguste à la tiédeur des flammes, du thé à la menthe et de la camaraderie : avant de s'endormir sous la pureté des cieux étoilés.

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