Terre, une invitation au voyage

Un si long retour

Hubert Prolongeau
Un si long retour

Qui mieux que le héros de l’Odyssée incarne l’errance ? De cette épopée mythique et annonciatrice de l’heroic fantasy, ses lecteurs ont surtout retenu le côté aventureux. Un article paru dans notre magazine TERRE, consacré à l'Errance.

Si l'on veut continuer à rêver, mieux vaut parfois ne pas regarder une carte. Car si l'on suit, sur les pas d'Ulysse, la ligne reliant Troie à Ithaque, que voit-on ? Un vague barbotage d'un bout à l'autre de la Méditerranée que le plus amateur des « voileux » d'aujourd'hui bouclerait en quelques jours. Victor Bérard, hellénisant fameux, s'était acharné une vie durant à identifier les lieux « décrits » par Homère, et n'avait réussi qu'à écorner le mythe. Il a donc fallu dix ans à Ulysse pour faire ça ? Juste ça ? Il y a en fait deux récits dans l'Odyssée.

Le premier raconte les aventures d'Ulysse. Le second, qui inaugure le poème et surtout le termine, narre le retour à Ithaque et le rétablissement de la légitimité du roi absent. Dix ans d'un côté, sept jours de l'autre, deux périodes qui se partagent pourtant le poème à parts à peu près égales, le voyage lui-même ne couvrant que neuf chants sur vingt-quatre. C'est pourtant, et de loin, lui le plus fameux. Ses épisodes les plus célèbres (le cyclope, Charybde et Scylla, les sirènes ou encore la transformation des soldats en cochons) confinent à la légende, dépassant de beaucoup le cadre que leur offrait Homère.

La seconde partie, si elle contient aussi son lot d'histoires célèbres (Pénélope faisant tapisserie, les prétendants liquidés à coup de flèches et la magnifique scène, peut-être la plus belle du livre, du dialogue avec le porcher Eumée, le premier à reconnaître le roi vieilli et enfin de retour...), s'est effacée au fil des ans. Comme si, de ces dix ans tous tendus vers le même but, seuls avaient compté l'errance et les imprévus qui font tout voyage. Car s'il est un héros errant, c'est bien Ulysse le rusé (l'idée du cheval de Troie, c'est lui).

Rien n'est choisi, rien n'est voulu dans son périple. Pas d'évasion, pas de balades au gré du vent mais un retour sans cesse reporté et une sujétion cruelle à la volonté des dieux.

Aventures extraordinaires

Dans l'une de ses premières étapes, Ulysse crève l'œil de Polyphème le cyclope, lequel, il faut dire à sa décharge, avait entrepris de dévorer ses compagnons les uns après les autres. Mais voilà : Polyphème est le fils de Poséidon, dieu de la mer. Et Poséidon se fâche. Ulysse va devenir dix ans durant le jouet des éléments.

© Ilbusca - Getty images

Toujours observé sur la carte, son parcours, qui le mène en permanence à s'échouer quelque part sur la côte méditerranéenne ou sur des îles (l'île du cyclope, l'île des lotophages, l'île de Circé, l'île d'Éole, celle de Calypso où il restera huit ans...), à revenir sur ses pas, à multiplier les allers-retours et à s'éloigner de sa destination, est pour le moins incohérent... Catastrophe que ces retards et ces contretemps qui se succèdent ? Pas seulement non, pour autant. L'errance va jeter Ulysse dans les aventures les plus extraordinaires et les plus formatrices.

Que serait-il devenu sans elles ? On le voit vieillir, hésiter, pleurer, mais jamais renoncer.

Au contraire, il va en permanence, et de plus en plus, affirmer sa volonté. Omniprésents dans l'Iliade où ils réglaient leurs comptes par humains interposés, les dieux sont beaucoup plus discrets dans l'Odyssée. Seuls Zeus et Pallas Athéna interviennent vraiment. Forgées par les épreuves, l'ingéniosité et l'humanité d'Ulysse, qui décide aussi beaucoup de son destin par lui-même, lui permettent de finalement retrouver son chemin.

On a perdu de vue la signification mystique qu'avait en son temps l'Odyssée, texte dont l'histoire est presque aussi complexe que celle qu'elle raconte, mais on en a gardé le formidable roman d'aventures, l'histoire de mer, l'histoire d'amour, l'histoire de fidélité, l'histoire d'errance d'un homme confronté à des forces qui le dépassent et qu'il affronte pourtant, l'histoire de reconquête, l'histoire de la paix retrouvée. Est-ce à dire que l'on ne part que pour mieux revenir ?

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