Ride en meute
EXPEDITION - Jack London, Nicolas Vanier ou encore Paul-Émile Victor. Tous ont entrepris d’ouvrir de nouvelles voies vers le Grand Nord. Retrouvez le récit de leur expédition dans le dernier numéro de notre magazine TERRE.
Comme eux, Edwige Carron, conceptrice de voyages polaires, a glissé sur les traces d’un musher l’hiver dernier en Laponie suédoise. Familière de ce type d’expédition où la poudreuse est reine, elle raconte cette aventure hors du commun en traîneau à chiens.
Sous son manteau de neige, la taïga lapone paraît éternelle. Depuis plusieurs siècles, elle a servi de terrain de découvertes à de nombreux explorateurs. Toute l’année, c’est aussi le lieu de vie des Samis, ce peuple éleveur de rennes, mystérieux et endurci par le froid. Pour explorer la région ou s’y déplacer au quotidien, le traîneau à chiens constitue un excellent moyen : il permet de couvrir de longues distances, de découvrir des paysages somptueux et de côtoyer les mushers, ces pilotes des neiges mythiques du Grand Nord. Vivre une telle aventure est accessible à quiconque accepte de mettre à l’épreuve sa motivation sous ces latitudes où le mercure peut passer de -30 à zéro degré d’un jour à l’autre.
CARACTERE DE CHIEN
Ce froid mordant a forgé le caractère des chiens. Chaque jour, ces vaillantes boules de poil trépignent à l’idée du départ. Il faut une équipe de quatre pour tirer un traîneau et son pilote. Pour la composer, les mushers suivent des intuitions profondes, acquises au cours d’années de pratique. Comme leurs animaux, ils suivent leur flair. « Lorsqu’on arrive le premier soir, le musher prend le temps de faire connaissance avec chacun pour découvrir les différents tempéraments. C’est lui qui décide quels chiens iront avec quelle personne. Chacun d’entre eux a son prénom et son caractère, raconte Edwige. C’est très drôle de voir à quel point les animaux nous ressemblent », sourit-elle. S’accorder à son attelage est primordial pour trouver le bon tempo ! Plus la semaine avance, meilleure est la partition. Virages, freinages, ancrages, sont autant de notes à apprendre, dès le début de l’expédition. Edwige insiste : « C’est une étape extrêmement importante. Le musher est strict. Il ne laisse aucune place à l’erreur avec les animaux. Un mauvais freinage peut gravement les blesser ». Il n’est pas nécessaire d’avoir déjà pratiqué pour se lancer. En revanche, mieux vaut être prévenu, les conditions d’un raid peuvent être épiques. Les traîneaux sont chargés et les journées à filer sur la neige, routinières. Chaque jour, les équipages couvrent une trentaine de kilomètres de cabane en cabane, entre forêts boréales, prairies, vallons, rivières et lacs gelés.
ROUTINE GLACIALE
Au réveil, les canidés engloutissent une bouillie protéinée fort odorante. Un par un, les huskies avalent ce qui leur servira de carburant dans l’immensité de la Laponie. Les affaires sont rangées, le camp plié. Tout juste équipés, les chiens hurlent. Ils sont nés pour ça, ils adorent ça. « Sur le traîneau, quand le rythme est pris, les chiens ne s’arrêtent plus pendant plusieurs heures. Il faut juste freiner de temps à autre. Le plus dur c’est de résister au froid dans cette position statique et de ne parler à personne sauf à ses chiens », témoigne Edwige. La glisse à travers ces grands espaces offre de longs instants de méditation sous le regard interloqué des rennes qui peuplent les lieux. Parfois le doute s’installe : dans quoi me suis-je embarqué ? Mais attention à ne pas se laisser endormir. Face au silence les pilotes doivent rester alertes. Si certaines pistes sont damées, d’autres sont effacées par la neige fraîche. Le sentier devient flou. Les repères changent. Il faut poursuivre le chemin et trouver refuge pour la nuit. Quand l’obscurité revient, la routine aussi : attacher les chiens à la chaîne, « sans les gants et en faisant attention de respecter un ordre précis, car certains chiens s’adorent et d’autres se détestent ». Les bêtes gardent leur instinct sauvage. Quand une bagarre éclate et si le musher n’intervient pas, les protagonistes peuvent aller jusqu’à s’entretuer. Reste à retirer les harnais, vérifier les pattes des animaux, les soigner, préparer leur lit de paille pour le soir et les nourrir. Deux heures après il est temps de prendre le chemin du sauna ! Loin d’être une douche, c’est le seul moment où le corps peut se réchauffer correctement. Dans les cabanes, la vie se fait autour du poêle, avec une petite table et des lits superposés. Il faut accepter l’inconfort pour vivre cette aventure hors du commun. « À la fin on se roule par terre avec les chiens au moment des adieux. Eux aussi sont heureux de venir nous voir. On a créé un lien fort. C’est comme dire au revoir à un ami de vacances qu’on ne reverra pas. Il y a un déchirement... » confie Edwige, encore émue par son expérience. Sous des ciels d’aurores boréales généreuses et puissantes, la vie au grand air prend tout son sens. Ces nuées lumineuses donnent leur noblesse à la nature vierge de Laponie et achèvent d’imprimer des souvenirs impérissables pour ceux qui s’aventurent là.