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Inde du Sud : une vie en mélodies

Nora Schweitzer
Inde du Sud : une vie en mélodies

Dans une vallée paisible de l’État du Karnataka, en Inde du Sud, l’école Kalkeri Sangeet Vidyalaya s’est donnée une mission de taille : offrir une éducation de qualité à des enfants issus de familles marginalisées, à travers l’enseignement des arts traditionnels indiens.

Terres d’Aventure, par le biais de sa fondation, soutient cette école unique où l’art motive les jeunes à se bâtir un avenir meilleur.

Les premières lueurs du jour caressent les collines boisées du village de Kalkeri. Une féérie de mélodies s'élance dans le ciel clair du matin. Des voix d'enfants entonnent des chants traditionnels hindoustanis, la musique classique indienne. Des notes de sitar, un luth à manche long typique de l'Inde, s'envolent d'une salle de classe. Dans une autre, des joueurs de tabla, un instrument de percussion, viennent rythmer la nouvelle journée qui commence à la Kalkeri Sangeet Vidyalaya (KSV), littéralement « l'école de musique de Kalkeri ». Créée en 2002 par le Québecois Mathieu Fortier et son épouse française Agathe Meurisse, cette école hors du commun accueille aujourd'hui environ 230 élèves âgés de 6 à 25 ans. Ils sont logés, nourris et soignés gratuitement dans cette structure installée sur un terrain d'un hectare au coeur de la forêt, près du village de Kalkeri, à 15 kilomètres de la ville de Dharwad.

À l'heure du repas : cuisine végétarienne aux saveurs de l’Inde du Sud. Megha et Prema. - ©Luc Mercure

Nouvelle vie

Bien qu'elle enseigne la musique traditionnelle, la KSV n'a rien d'une école classique. Ici, les enfants sont issus des milieux les plus pauvres et les plus marginalisés de la société indienne. Ils sont sélectionnés en fonction de leur situation familiale. « Nous acceptons en priorité les orphelins, les enfants de familles monoparentales, les castes les plus marginalisées et les familles pauvres », explique Mathieu Fortier. Parmi les élèves de la KSV, nombreux sont ceux qui étaient auparavant contraints de travailler pour aider financièrement leur famille, délaissant ainsi l'enseignement.

La KSV représente pour eux une chance unique d'ouvrir une nouvelle page de leur vie en accédant à l'éducation.

Une mission essentielle, qui a conduit la fondation Insolite Bâtisseur Philippe Roméro à leur apporter son soutien. « La protection de l'enfance fait partie de nos axes d'action prioritaires », explique Julie Vincent, de la fondation. « Nous privilégions les projets qui naissent d'un réel besoin local et c'est le cas de la KSV ».

Le nombre restreint d’élèves par classe permet aux enseignants de s’assurer que chaque enfant progresse et atteint ses objectifs. - ©Luc Mercure

Conditions exceptionnelles

Les enfants reçoivent un enseignement mixte. Sur le plan académique, ils suivent le programme du gouvernement de l'État du Karnataka, composé de différentes matières : mathématiques, anglais, langues kannada et hindi, sciences, informatique. « Mais les conditions chez nous ne sont pas comparables à l'école publique », souligne Mathieu Fortier. « Ils sont en moyenne 15 élèves par classe, l'absentéisme des profs est très surveillé ». Des conditions exceptionnelles pour ces familles aux revenus extrêmement modestes, dans un pays où l'enseignement public pâtit de la surpopulation des classes, du manque de ressources et de l'absentéisme des professeurs. « En Inde, il est impossible d'avoir une éducation de cette qualité gratuitement. Une bonne école privée coûte environ 500 euros par mois alors qu'un salaire mensuel moyen tourne autour de 100 euros », témoigne Raphaël Moulin, ancien employé de Terres d'Aventure qui, à l'occasion d'un séjour en Inde, a découvert le travail de l'association. Convaincu de l'utilité de leur mission, il a ensuite proposé à la fondation de les soutenir financièrement.

Élèves et professeur réunis autour d’un harmonium indien. - ©Luc Mercure

Excellence

Véritable témoin de l'évolution des enfants, Raphaël Moulin insiste sur l'importance de l'éducation pour ces populations marginalisées. « L'école permet à ces enfants de sortir du cycle de la pauvreté ». Avec un taux de réussite de 100% à l'examen final, la KSV est une niche d'excellence. La vie des élèves évolue à un rythme fulgurant. En une génération, ils accèdent à des métiers auxquels leur caste ou leur situation socio-économique ne les destinait pas, alors que leurs parents sont analphabètes à 90%. « Certains deviennent ingénieurs, d'autres étudient les sciences, le commerce, la musique ou des métiers manuels. Mais ils finissent tous par tirer leur épingle du jeu », se félicite Mathieu Fortier. « Même ceux qui n'ont pas terminé leurs études chez nous s'en sortent beaucoup mieux que ceux qui n'ont pas étudié car ils ont acquis de solides bases en kannada, anglais et hindi, ils savent lire, compter et développent des compétences relationnelles ».

Attentif aux enseignements de son professeur, Manikanta, 13 ans, apprend avec plaisir. - ©Luc Mercure

Émancipation sociale

Au-delà de l'accès à l'éducation académique, la grande particularité de l'école réside dans la place qu'occupe l'art dans le cursus des enfants. Chant, théâtre, danse, sitar, tabla, flûte, ils reçoivent un enseignement intensif en arts traditionnels indiens. Entre 6 et 10 ans, les enfants ont une heure trente de cours par jour, cinq jours sur sept, dans tous les domaines. À 10 ans, ils choisissent un ou deux arts et se spécialisent dedans, à raison de 3 heures par jour. Le rythme est très soutenu. Les cours débutent dès 5h30 du matin afin que les élèves développent leur autonomie et soient réchauffés pour leur cour de 8h30. Résultat : « Ils arrivent tous à un niveau où ils sont capables de bien pratiquer un art traditionnel », explique Mathieu Fortier.

Ethnologue de formation, passionné par la culture indienne, il a d'abord étudié la musique hindoustanie avant de l'enseigner dans un premier temps à des enfants, puis de créer la KSV. Son leitmotiv ? Utiliser l'art comme un outil d'émancipation sociale. « C'est comme si des jeunes de banlieue en France apprenaient à jouer Chopin au piano », compare-t-il, en rappelant le poids des castes dans la société indienne.

En cassant les codes liés à leur statut, les enfants évoluent vers de nouveaux horizons. « Certains élèves sont identifiés par leur patronyme comme des gens de basse caste. Mais lorsqu'ils se mettent à jouer d'un instrument réservé à l'élite devant un public, ça change complètement la façon dont ils sont perçus. Cela force le respect des autres et favorise leur estime de soi. Pour nous, les arts, en plus d'être une merveilleuse façon de se connecter à leur culture d'origine, sont surtout un levier de valorisation, d'autonomie et de développement ». À ce jour, environ 400 enfants ont bénéficié de l'enseignement de la KSV. Une belle aventure musicale qui, espérons-le, résonnera encore longtemps dans la forêt de Kalkeri.

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