Terre, une invitation au voyage

Hawaï : enfant des volcans et des vagues

Solveig Placier
Hawaï : enfant des volcans et des vagues

Hawaï ne se résume pas au « sea, surf and sun ». Au cœur du Pacifique, à la croisée des routes maritimes entre la Californie et le Japon, l’Alaska et les Marquises, l’archipel constitue un mille-feuille culturel et naturel aussi paisible et bienveillant que troublant et stimulant.

Il est des choses que même les scientifiques ne parviennent pas à dater avec précision. L'arrivée des premiers humains dans l'archipel d'Hawaï reste entourée d'un nuage de mystère, aussi sombre que le ciel lors d'une éruption du Kilauea. Il est communément admis que l'installation d'hommes, de femmes et d'enfants venus des îles Marquises remonte au IVe siècle de notre ère, signant le début de la culture du taro à l'ombre des palmiers, deux plantes emportées dans les pirogues. C'est une deuxième vague migratoire, partie vers l'an mille de Tahiti, qui aurait institué parmi les premiers Hawaïens les lignées de chefs, les interdits régissant la vie en communauté, les sacrifices humains et les temples favorisant les naissances ou les voyages lointains. 

La Hana Highway : l'une des routes les plus photogéniques du monde, bordée voire recouverte par endroits d'une végétation luxuriante, se cache sur l'île de Maui. - ©Solveig Placier

L'archipel compte cent trente-sept îles, mais celles qui sont alors habitées tiennent sur les doigts des deux mains. Les communautés s'installent sur les ahupua'a, des bandes de terre allant du sommet d'un volcan à l'océan, qui leur procurent toutes les ressources nécessaires à la vie. Elles tirent les poissons et le sel de la mer, pratiquent la pisciculture, cultivent les terres sèches et les vallées humides, puisent l'eau douce dans les ruisseaux dévalant les pentes des volcans, débitent des troncs d'arbres pour en faire des pirogues et des maisons. Le mode de vie hawaïen se fonde sur le aloha – le « alo » s'aspirant et le « ha » s'expirant, tel le souffle primordial –, un concept à la signification très large qui englobe l'harmonie, l'amour, le respect des autres et de soi-même.

Au village de Volcano : ces coquettes maisons, situées à proximité immédiate du parc national des volcans, sur l'île d'Hawaï, ont été épargnées par les dernières éruptions - ©Solveig Placier

Le premier contact prouvé avec des Européens se produit en 1778 lorsque débarquent les équipages de James Cook. L'explorateur britannique reçoit un très bon accueil, mais sera tué l'année suivante dans une altercation. À partir de 1786, l'unification des îles est entreprise par le futur Kamehameha Ier avec l'aide de stratèges militaires de Sa Majesté. Dès la nomination du deuxième Kamehameha, en 1819, les bases de la société hawaïenne s'effondrent. Les rituels traditionnels sont interdits et l'installation sur l'archipel de missionnaires protestants britanniques est vite suivie par celle de catholiques et de mormons. Des chasseurs de baleines américains prennent leurs quartiers sur l'île de Maui.

Pu'Uhonua O Honaunau : sur ce site célèbre de l'île d'Hawaï, les statues en bois de divinités, les ki i, regardent la baie. - ©Solveig Placier

À partir des années 1850, des travailleurs chinois sont recrutés dans les plantations de canne à sucre, rejoints à la fin du siècle par des immigrés japonais, portoricains, coréens et philippins. Les Japonais restent très nombreux, leur langue est la deuxième à Hawaï et il est facile de déguster un ahi poke, un plat populaire à base de poisson cru, après s'être rendu au temple bouddhiste. En 1893, finalement, les États-Unis accaparent l'archipel qui devient le 50e État de l'Union en 1959. Aujourd'hui, seuls 10% des habitants sont considérés comme des kanaka maoli, les natifs d'Hawaï.

Refuge de Pu'uhonua rassemblait un sanctuaire irradiant le site de son mana, des maisons pour le chef et son entourage ainsi que des abris servant à l'intendance. - ©Solveig Placier

Point chaud

Ce mille-feuille culturel se déploie sur des fondations géographique et géologique uniques. L'archipel d'Hawaï coiffe le triangle polynésien dont les pieds reposent sur la Nouvelle-Zélande, au sud-ouest de l'océan Pacifique, et sur l'île de Pâques, au sud-est. Il dérive vers le nord-ouest suivant le tapis roulant de la plaque tectonique Pacifique. Celle-ci passe au-dessus d'un « point chaud » – actuellement situé à l'aplomb de l'île d'Hawaï – qui provoque une forte activité volcanique et crée, au fil des millénaires, de nouvelles îles.

Le sable noir de Kehena provient d'une lave de type pahoehoe - ©Solveig Placier

Elles ont pour point commun une végétation luxuriante. Sur Kauai, la plus ancienne de l'archipel, les lianes débordent des pitons rocheux dominant Kapa'a, et les falaises de Na Pali déversent leur verdure dans l'océan ; sur Maui, la Hana Highway disparaît parfois sous un couvert d'arbres piqués de fleurs ; sur Hawaï, les vallées d'Hamakua se parcourent pieds nus dans la boue parmi les fougères. On admire des touches de couleurs inédites, telles celles de la fleur 'ohi'a lehua, rouge et hérissée, ou tels les reflets du 'ahinahina, le sabre argenté, plante vivant jusqu'à 90 ans et derrière laquelle se cache parfois une bernache néné, elle aussi endémique de l'archipel. Les fleurs se tissent en collier, le lei, à l'occasion d'une remise de diplôme ou d'un retour de voyage. Les parures se déposent aussi en signe de respect sur les ahu, de petits autels que l'on rencontre encore aujourd'hui aux flancs des volcans.

Lave sacée

Pareillement offerts aux cratères, les cordons ombilicaux sont lovés au fond d’un trou creusé dans la lave afin de souhaiter longue vie aux nouveau-nés. Ils sont nombreux sur le site de Pu'u Loa, où l’on observe aussi pas moins de 23 000 dessins de pirogues et de capes de plumes, de motifs anthropomorphes et curvilignes. La couche de lave du site s’est constituée entre 1200 et 1450. À Hawaï, les monuments historiques ne s’érigent pas verticalement, mais se déploient horizontalement. Très pauvre en silice et donc très fluide, la lave des volcans hawaïens évoque souvent, par ses formes sensuelles et organiques, les cuirasses des dragons asiatiques et les reflets métalliques des chimères tout droit sorties des films de Jean-Pierre Jeunet. Pour la même raison, elle avance très rapidement.

Site de Lapakahi : des colliers lei ornent un rocher en mémoire des familles de pêcheurs vivant il y a six cents ans dans ce village du nord-ouest de l'île d'Hawaï - ©Solveig Placier

De nombreux habitants vous raconteront que leurs maisons ont été détruites par l'éruption du Kilauea en 2018. La lave, pourtant, est sacrée. Elle est l'incarnation des divinités pour lesquelles les prêtres menaient des cérémonies lors des éruptions, et fait l'objet d'une malédiction aux origines floues, mais à l'impact psychologique encore fort : pas question d'en rapporter un morceau chez soi, au risque de recevoir les fumerolles sulfuriques de Pele, la déesse du feu habitant le chaudron du Kilauea. On ne touche pas non plus aux sables blonds, émeraude ou charbon des plages de l'archipel. Hawaï, l'antidestination des arénophiles.

Esprit du surf

Autre déesse puissante, celle de l'océan, Namaka, sœur et rivale de Pele. Toutes deux sont emblématiques du honu, la connexion essentielle entre la mer et la terre. Selon le honu, ce qui évolue dans les flots est gardé par ce qui demeure sur la terre, en une symbiose idéale. Honu désigne à l'origine la tortue de mer créée à partir d'un rocher par A'ia'i, le fils du dieu poisson, sur l'île de Lanai. Ainsi, la tortue vit essentiellement dans l'eau, mais pond ses œufs dans le sable... Dans la cosmogonie traditionnelle, chaque espèce créée dans l'océan a un équivalent sur terre, comme la raie grise et le pétrel. Plus monumentales, les baleines descendent des eaux froides de l'Alaska entre décembre et avril pour se reproduire aux abords de Kauai et de Maui. Plus espiègles, les dauphins à long bec suivent les voiliers. Plus tranquilles, les phoques moines regardaient jadis les criminels ayant bravé un interdit nager vers le lieu de refuge Pu'uhonua o Honaunau, seule façon d'obtenir le pardon. Ils regardent aujourd'hui les surfeurs dompter les vagues.

La plage de Kehena : sur le flanc est d'Hawaï, c'est le dernier né des bancs de sable hawaïens. Très isolée, la plage fait le bonheur des nudistes de l'île. - ©Solveig Placier

Les surfeurs, les pratiquants du he'e'ana, sont partout. Ils sidèrent les touristes qui débarquent pour la première fois sur l'archipel, créant des vocations. À Hawaï, on s'extirpe du liquide amniotique pour se glisser presque immédiatement dans l'eau de mer. Cet esprit du surf touche d'abord par sa beauté. Il répare l'âme, muscle les avant-bras, travaille l'équilibre et, surtout, enseigne l'humilité face à la puissance de l'océan tout comme le respect vis-à-vis de ses camarades. Pas question de débarquer n'importe où, n'importe quand. Un shaka (le geste de ralliement des surfeurs) brandi en signe d'appartenance à une prétendue culture « cool » ne suffit pas. Il s'agit d'assurer sa sécurité et celle des autres. Une fois gagnée sa place, en attendant la barrière liquide, on papote avec ses voisins, à califourchon sur sa planche : « Il se boit où, le meilleur café de l'île? – Tu connais la plage Ho'okena? J'ai l'impression que les vagues se brisent mieux là-bas. –Ah, non! c'est trop près de la barrière de lave... »

La riche culture d'Hawaï n'est pas le moindre des reliefs d'un archipel où la géologie fait émerger des volcans et l'océan se dresser des montagnes liquides. Tout fourmille, se confond et scintille lorsqu'on regarde le soleil se coucher sur le Pacifique. En ligne de mire, les voiliers, les nuages, les surfeurs, et, comme voisine de plage, une tortue piquant un petit somme dans la lumière dorée de fin de journée. Un archipel aloha, débordant d'amour et de compassion.

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