Déconnexion hivernale au pays des loups
Dans la plaine du Trièves, au pied du Vercors, les loups ont pris leurs quartiers. Depuis le refuge d’Esparron, Lionel Laurent guide les marcheurs sur leurs traces au milieu des forêts. Il dépeint pour nous cette aventure hivernale en totale déconnexion.
Le séjour a lieu dans une vallée sauvage, en limite du plateau du Vercors. Dans quel environnement se déroule-t-il ?
On évolue dans la plaine du Trièves qui forme la barrière orientale du Vercors. Le refuge d'Esparron se trouve sur les contreforts, à l'extrémité sud. C'est un endroit entouré de forêts, de grandes prairies et d'une petite source. On a des vues sur les hauts plateaux du Vercors mais il n'y a pas de falaises à proximité.
Quelle est l'histoire de la vallée ?
Autrefois la vallée était très fréquentée. Il s'agit de l'ancienne route entre le Trièves et le Diois. C'est pour cette raison que l'ermitage d'Esparron est né à cet endroit. Le lieu s'est fortement développé et le gestionnaire de l'ermitage a construit une ferme pour en nourrir les pensionnaires. Un incendie majeur a provoqué l'abandon du lieu en 1907. Occupé par les résistants pendant la Seconde Guerre mondiale, l'endroit a été rasé par les Allemands puis reconstruit en centre de vacances de la Caisse d'Épargne, et enfin repris par la commune.
Le refuge d'Esparron, qui nous sert de camp de base, est très isolé, il n'est pas gardé à l'année. Décris-nous les conditions de vie dans ce refuge.
La première habitation est à 3 kilomètres du refuge. On n'y accède qu'à pied ou par la piste. Le chemin est très joli. Il n'y pas d'eau courante dans le refuge, il faut remplir des bidons à la source, dehors. À l'intérieur, on trouve une gazinière, un bon poêle, des canapés, des tables, une bibliothèque et des jeux de société, qui permettent de passer le temps s'il fait trop mauvais ! Le couchage se fait dans deux dortoirs avec une vingtaine de places au total. Pour être à l'aise, on ne vient qu'à 12 personnes. Revenir chaque soir au refuge, comme dans un cocon douillet, rend ce séjour spécial. Vivre ensemble génère aussi beaucoup de moments de partage, en particulier la cuisine et les repas. En général les gens n'ont pas envie de redescendre tout de suite.
Est-ce une garantie de déconnexion totale pendant ces quelques jours ?
Oui ! Ici, les gens ne sont pas gênés par leurs notifications puisqu'il n'y a pas de réseau. C'est le lieu idéal pour se déconnecter. Les voyageurs apprécient beaucoup de redécouvrir qu'ils ont du temps libre parce qu'il n'y a plus d'agenda qui vaille. On se retrouve avec le bruit de la nature, la conversation des autres et le crépitement du feu de bois. Le temps est consacré à se balader dehors, à la vie du groupe ou à lire, en toute simplicité.
La présence du loup est avérée toute l'année dans la vallée. Comment fait-on pour les observer et les pister ?
L'hiver, c'est le moment idéal. Grâce à la neige, on peut facilement voir les traces, les empreintes et les crottes. On apprend des techniques pour reconnaître les empreintes, pour identifier les crottes et voir les lieux de passage. On est aussi équipés d'un piège photo mais on ne peut pas être sûrs que le loup passera par là. En complément, on amène un certain nombre de documents pour informer le groupe.
Les voyageurs ont-ils une chance réelle de les voir ?
La meute qui peuple la vallée est composée d'au moins 4 individus. Même si cela reste rare, on peut les voir de très près. Les jours où on voit le loup, c'est qu'il a décidé de se montrer. J'habite un hameau pas très loin et récemment, on a pu observer la meute manger un sanglier. On était à quelques dizaines de mètres à peine. C'est la seule façon de les voir longtemps parce qu'ils sont occupés à se nourrir. Cela ne présente aucun danger. Ils s'écartent si on approche.
Y a-t-il des mesures particulières pour minimiser l'impact des visiteurs sur la faune et la flore dans cette zone sauvage ?
Les loups et les autres animaux ont bien conscience de notre présence. Ils nous entendent et sentent l'activité humaine. La fumée du poêle par exemple. Malgré cela, ils s'approchent tout près. Pour préserver l'harmonie et se concentrer sur les sons de la nature, on interdit la musique à l'extérieur du refuge. On incite les gens à ne rien ramasser et à ne pas toujours vouloir être au plus près pour faire des photos, mais plutôt à contempler, à regarder plus longtemps avec les jumelles.
Quel est l'avantage de se déplacer en raquettes pour ce type de séjour ?
Cela permet de sortir des sentiers battus sans se mettre en difficulté. Le bruit est nettement minimisé et cela facilite notre approche.
Pour terminer, aurais-tu un souvenir d'observations que tu voudrais nous partager ?
Un jour on est montés sur une crête jusqu'à un col et j'ai aperçu quelque chose qui courrait droit dans la pente vers nous. J'ai mis longtemps à voir ce que c'était et en fait il s'agissait d'un groupe de sangliers. Ils ont dévié au dernier moment, c'était magique !