Terre, une invitation au voyage

3 questions à Mathieu Gouhier

Elianne Patriarca
3 questions à Mathieu Gouhier

Rencontre avec Mathieu Gouhier, volcanologue physicien, Laboratoire magmas et volcans & Observatoire de Physique du Globe de Clermont-Ferrant (OPGC)

— Terres d'Aventure : Peut-on déceler des rythmes dans l'activité de l'Etna ?

Mathieu Gouhier : Son activité sommitale est plus ou moins continue, mais il entre aussi en éruption à plus basse altitude : c'est ce qu'on appelle les éruptions latérales. Sur les 40 dernières années, celles-ci se sont produites en moyenne tous les deux ans. Plus le temps de repos entre deux éruptions est long, plus l'éruption a des chances d'être intense car la recharge du réservoir magmatique est plus importante et la mise en pression de la tuyauterie plus forte.

— T. A. : L'Etna est entré en éruption le 24 décembre dernier et son activité s'est prolongée jusqu'à la fin février. Que s'est-il passé ?

M.G. : Une éruption s'est produite sur le flanc du volcan – la première latérale depuis plus de dix ans. Une fissure d'environ 2 km de long s'est ouverte à 2 900 m d'altitude, sur le flanc sud est du volcan, provoquant une coulée incandescente jusque dans la Valle del Bove, une région inhabitée. Une éruption latérale est souvent plus intense et abondante qu'une éruption sommitale pour deux raisons : dans le cas d'une éruption sommitale, le magma doit remonter et se frayer un chemin jusqu'au sommet par le conduit central. En latéral, le chemin est plus court et il est plus facile pour le magma d'émerger en surface, car il utilise des conduits excentriques parfois connectés à des réservoirs superficiels : ce magma plus fluide et plus chaud peut alors s'écouler en abondance et aussi plus rapidement. Simultanément, les cratères sommitaux produisaient un panache riche en cendres volcaniques.

— T.A. : Quels sont les risques ?

M.G. : Il y a d'abord les risques associés aux coulées de lave, qui peuvent entraîner la destruction des villages en contrebas comme cela a été le cas en 1928 pour Mascali. Depuis, d'autres villages sont régulièrement menacés, comme Fornazzo, Randazzo et Zafferana, par les éruptions latérales de 1979, 1981 et 1992. Mais le volcan est sous surveillance avec notamment un réseau de capteurs et d'alertes. Et les villages sont généralement assez éloignés pour que l'on ait le temps d'évacuer la population avant l'arrivée de la coulée de lave. Même si évacuer la zone reste compliqué d'un point de vue sociétal, surtout qu'on ne sait jamais pour combien de temps : en 2008–2009, l'éruption avait duré près de 419 jours ! Le deuxième risque est généré par les panaches de cendres volcaniques, qui montent très haut en altitude, et voyagent sur des centaines de kilomètres avant de retomber au sol. Ces cendres représentent un danger majeur pour le trafic aérien, car elles peuvent endommager les réacteurs d'avions et provoquer l'arrêt des moteurs. C'est la raison pour laquelle l'aéroport de Catane a connu des fermetures partielles et fréquentes entre Noël 2018 et fin février 2019. Le bâti peut aussi en souffrir avec des toits qui s'effondrent sous le poids des cendres. En 2002, à Nicolosi, ville située à 16 km du sommet de l'Etna et où l'on trouve la plus grande station de ski de Sicile, c'était environ 10 kg/m2 de cendres volcaniques qui retombaient ! Enfin, l'Etna est l'un des plus grands pourvoyeurs de dioxyde de soufre de la planète, même en dehors des éruptions. Or, à haute concentration et en présence d'eau, le soufre se transforme en gouttelettes d'acide sulfurique (H2SO4), très délétères. Ce sont ces pluies acides qui brûlent les champs, les cultures et polluent les nappes phréatiques. C'est un vrai problème de santé publique.

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