3 questions à Christophe Le Saux
Ultra-traileur et globe-trotteur passionné, Christophe Le Saux est l'un des meilleurs spécialistes de l'ultra-endurance et du Tor des Géants.
Christophe a glané de nombreux podiums sur le Tor (une fois 2e, plusieurs fois 3e) et signé un temps de 79h02 en 2014 sur cette épreuve qu'il aime particulièrement.
— Terres d'Aventure : Christophe, vous avez couru le Tor des Géants en moins de 80h. Que représente pour vous le Tor et comment gérez-vous un effort aussi immense et aussi long (300km et 24k D+) ?
Christophe Le Saux : Je cours rarement avec une montre, je suis plus à l’écoute de mon corps. J’ai toujours pris le départ de cette course après avoir fait, une à deux semaines avant, l’une des courses de l’UTMB. Il faut que cela reste du plaisir. Aujourd’hui beaucoup de gens courent des ultra-trails pour exister et non par plaisir. Pour moi le Tor des Géants n’est pas une course, c’est un voyage avec soi-même et tout le peuple valdôtain. L’effort se gère au fur et à mesure des kilomètres. Le corps humain est une machine incroyable, je l’ai vraiment découvert sur cette épreuve, on avance plus avec la tête qu’avec les jambes. Côté nourriture et hydratation, il faut se ravitailler régulièrement, au moins toutes les 50 minutes, sinon l’estomac se verrouille. Dès que tu as compris tout cela, tu réussiras ton voyage.
— T.A : Quels sont vos meilleurs souvenirs sur l'épreuve ?
C.L.S : J’ai vécu beaucoup de bons moments. Le meilleur se situe peut-être en 2012. J’étais en tête pendant plus de 200 km, puis soudain je me suis retrouvé sur les hauteurs de Gressoney complètement détruit. Impossible d’avancer, jusqu’au moment où un chien de berger a senti ma détresse et s’est couché à côté de moi pour me réchauffer pendant que je dormais. Il m’a réveillé en me léchant le visage et m’a ouvert le chemin pendant plus de 10 km jusqu’au prochain ravitaillement. En 2014, j’ai également pris le départ du Tor des Géants, fatigué. Huit jours avant, j’avais terminé l’UTMB en moins de 25h et fêté cela. Le début était donc très dur, surtout que le coeur n’y était pas car je venais de dire au revoir à ma compagne. Au-dessus du village de la Thuile, j’ai cru voir un mirage : c’était bien elle, restée pour m’encourager et m’envoyer quelques baisers qui m’ont poussé à finir la course.
— T.A. : Vous ne rêvez pas d'obtenir un jour la première place ?
C.L.S : J’ai failli l’atteindre en 2014 avec Antoine Guillon. Au kilomètre 270, je le rattrape après avoir dévalé la descente du dernier col en marche-arrière car j’avais des tendinites sur les deux releveurs. Il était fatigué et moi euphorique, il voulait dormir et moi repartir, je ne lui ai pas laissé le choix. J’ai fini la course à ses côtés pour l’aider : on a terminé 3e ex-æquo. Cette arrivée a été pour moi la plus belle de toutes, c’était bien plus fort qu’une première place. Tout le monde me demande pourquoi je ne gagne pas le Tor des Géants. Ma réponse est simple. Si je faisais tout pour le gagner, je passerais à côté de l’accueil du peuple valdôtain qui partage mon effort : les grand-mères en fauteuil roulant qui m’encouragent dehors sous le froid, les enfants qui font l’école buissonnière pour me demander un autographe… Il faut le vivre pour y croire. Alors c’est peut-être du temps perdu de s’arrêter tout le temps, mais pour moi c’est un enrichissement, un amour, une aventure partagée avec tous ces gens.